Critique et analyse – Permis de tuer

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  • Date de sortie : 16 août 1989 (2h12)
  • Réalisateur : John Glen
  • Avec : Timothy Dalton, Robert Davi, Carey Lowell, Anthony Zerbe, Talisa Soto, Benicio Del Toro, Frank McRae, David Hedison
  • Tous publics (France) -13 ans (États-Unis)
  • Allociné spectateurs : 3.1/5

Second et dernier James Bond avec Timothy Dalton dans le rôle éponyme, Permis de tuer est un 007 inhabituel, plus sombre. Cette fois-ci, Bond se trouve dans une atmosphère bien plus noire et terrifiante, le film change donc les codes de la sage tout en conversant la formule traditionnelle. Un mélange intéressant, que l’on risque de retrouver dans quelques mois dans Spectre.

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Un puissant trafiquant de drogue, Franz Sanchez, vient de s’échapper des mains de la CIA. Il décide de se venger de l’agent qui était à la tête de son embuscade, Felix Leiter. Il tue ainsi son épouse et le mutile. Pour James Bond, il n’y a pas d’autre alternative que d’infiltrer le monde corrompu de Sanchez, malgré les remontrances de son supérieur, M, qui le démissionne et lui retire son permis de tuer. La vendetta de Bond se veut sanglante, d’autant plus que l’ampleur des travaux de Sanchez est sans précédent.

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Après le succès mondial de Tuer n’est pas jouer, le visage du nouveau Bond a été accepté par le plus grand nombre. Permis de Tuer est l’apogée des Bond des années 80 et est le dernier film réalisé par John Glen, maintenant un habitué de la saga, le dernier film avec Timothy Dalton, Robert Brown, Caroline Bliss, David Hedison et le dernier film avec un scénario de Richard Maibaum, habitué également sans oublier le dernier générique de Maurice Binder. On le sait, Permis de tuer est un échec commercial, pourtant lors des projections tests 80% des personnes semblent avoir adoré cette nouvelle aventure, avec une chute de presque 40 millions de dollars par rapport au dernier opus, un box-office de 5 millions de dollars de moins que le premier Roger Moore Vivre et laisser mourir, qui avait un budget six fois moins important. Mais le film est incontestablement une réussite artistique.

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Eon Productions connaît des problèmes de distribution aux Etats-Unis ces dernières années. L’obsession des producteurs est de séduire les Etats-Unis, d’ailleurs Tuer n’est pas jouer a presque atteint le top 20 du box-office américain en 1987. Le processus d’américanisation de la saga a commencé avec Goldfinger, Les diamants sont éternels, Vivre et laisser mourir et Dangereusement vôtre, qui se déroulaient aux Etats-Unis. Aux Etats-Unis a lieu l’apogée des blockbusters violents qui avaient débuté au début des années 80, notamment avec Sylvester Stallone, Arnold Schwarzenegger, Bruce Willis et Mel Gibson. Bond doit devenir donc plus violent et faire couler du sang, s’il veut séduire les américains. C’est un Bond torturé qu’on retrouve dans Permis de tuer, qui agit à cause d’un motif personnel, démissionnaire, pour mener une vendetta très violente. Plus libéré et bien moins sous pression comme dans Tuer n’est pas jouer, Timothy Dalton incarne un Bond volontaire, intense, torturé, violent, accompagné d’une soif de justice personnelle et émouvant avec un réalisme psychologique. Le scénario, plus mature, subtil, et réaliste, accorde plus d’importance sur la personnalité de Bond pour mettre en valeur l’interprétation de Dalton, qui apporte une plus grande ampleur au personnage.

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Mais Dalton a des difficultés à s’imposer de façon médiatique, il est discret bien que sympathique et abordable, il ne déclenche pas le souffle médiatique comme Sean Connery ou Roger Moore. Or les producteurs oublient que l’image qu’il dégage auprès du public joue un rôle commercial essentiel. Il faut dire que Dalton est un très grand James Bond, on ne peut pas parler de «meilleur» car chaque interprète est différent, mais il n’a pas les épaules d’une star, il est apprécié mais pas populaire. Un vrai paradoxe lorsqu’aujourd’hui on sait qu’il a apporté une saveur incomparable à la série et une influence considérable pour la suite de la franchise, notamment avec l’arrivée du Bond énervé et névrosé de Daniel Craig. Les nouveaux défis techniques imposent un gigantesque budget de 42 millions de dollars avec un salaire de 3 millions pour l’acteur principal. Même si le film se concentre sur la psychologie de Bond, il ne se sépare autant pas, et heureusement, de cascades maritimes, sous-marines, aériennes et routières. Bond reste Bond! Même si beaucoup ont dénoncé l’américanisation du film et la direction vers la violence du film d’action hollywoodien, comme Terminator, Piège de cristal et L’arme fatale, Permis de tuer intègre fort bien la géographie américaine ainsi que les thèmes de la drogue, les personnages abrupts, la photographie ensoleillée par un bleu azur. Il continue d’incarner la nature d’un cinéma d’action classique, sincère et élégant, ce qui alourdit encore plus le budget du film car Bond voyage entre paysages exotiques et villas luxueuses, il reste dans son univers de luxe et de beauté, ce qui n’est pas le cas de John McClane et Martin Riggs. C’est donc un savoureux équilibre de savoir-faire classique à l’ancienne et de modernité stylisée qui se fait ressentir dans ce nouveau opus.

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Un James Bond sombre

Le scénario de Permis de tuer suit la forme de la tragédie, il fait parti des trois James Bond les plus tragiques – Le monde ne suffit pas, Casino Royale et on peut ajouter Au service secret de sa majesté. Bond ne sauve pas le monde dans ce film, il en détruit une partie. Cependant la fin n’est pas tragique, il ne faut pas oublier que Bond reste un charmeur et romantique. On peut diviser le film en 3 actes : la souffrance, la rage et la vengeance. La formule bondienne est conservée : paysages exotiques, beautés féminines et cascades extraordinaires. Cependant elle devient plus dramatique et plus violente. Dès les premières minutes, Sanchez bat avec un martinet sa financée et tue son amant en lui arrachant le coeur. Dès le début l’atmosphère est lourde, le méchant est terrifiant et cruel : intensité, nervosité et colère dévastatrices. L’introduction est exceptionnelle, mélange d’action, de rebondissements et de romantisme avec une très belle entrée en la matière. La séquence d’action aérienne est très bien réussie, surtout que Dalton a lui-même fait la cascade, comme la majorité des cascades du film. Après le générique, Sanchez fera violer et tuer la femme de Felix Leiter et tortura ce dernier en le plongeant dans un bassin de requin. C’est en découvrant le cadavre inanimé de Della et le corps ensanglanté de son ami que Bond devient furieux, voulant à tout prix trouver un ballon pour le craquer comme dans Tuer n’est pas jouer. Bond perd le contrôle, pour la première fois. C’est un tueur froid et solitaire. On retrouvera cette perte de contrôle dans le James Bond des échecs, Le monde ne suffit pas.

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La question de l’argent

L’argent est un thème majeur dans le film : Bond arrête une balle de pistolet grâce à des billets, il attaque son adversaire avec de l’argent qui s’envolera ainsi dans l’air, c’est en rattrapant ses gains que le policier corrompu qui a sauvé Sanchez tombe et meurt, c’est grâce à l’argent que Bond se fait remarquer au casino de Sanchez et encore grâce à l’argent que Bond fait croire à Sanchez la trahison de son fidèle Krest. Avec l’argent, on peut tout faire, plus fort que les armes, la raison, on peut acheter les hommes, excepté un seul…Bond, un homme qui ne peut être acheté. 007 n’aime pas l’argent, il n’en a jamais eu, même si son service lui paie tout ce pourquoi il vit dans le luxe lors de ses missions. L’argent n’est pas une valeur pour lui, lorsqu’un billet se colle sur son front, il secoue sa tête en souriant comme s’il voulait se débarrasser d’un moustique, amusé de gâcher l’argent de Sanchez, comme il l’a fait avant avec celui du policier corrompu. L’argent, dans Permis de tuer, est le meilleur moyen, le meilleur plan, la meilleure alternative pour atteindre le milieu de Sanchez.

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Le processus d’infiltration

Ce Bond s’approche du personnage des livres de Ian Fleming : un homme dur, réservé, parfois glacial. Bond est un tueur plus dangereux que lorsqu’il avait le permis de tueur car débarrassé de ses responsabilités, il n’est alors plus qu’un homme. Il est largement différent : il appuie un couteau contre la gorge d’une femme à laquelle il réclame le silence absolu. Il fait peur, impose ses nouvelles règles avec une voix sévère, tout en gardant son élégance. Il s’adapte aux situations, supporte la présence de Sanchez et le séduit, c’est un homme crédible aussi dans les échanges respectueux avec lui, on sent les limites de sa patience, il veut tuer Sanchez mais qu’importe si cela lui demande de la réflexion. Son processus d’infiltration est lent mais efficace. La composition de l’univers de Sanchez est excellente et représente un point fort du film : talents de vendeur hors-pair, villa luxueuse, entrepôts secrets, banque, casino, femmes… Bond, avant d’atteindre Sanchez, veut détruire son univers, il veut dérégler son système : il poignarde les sacs de cocaïne dans la mer, jette les billets d’argent dans le vide, manigance pour qu’il croie que son employé le plus fidèle Milton Krest l’a trahi et balance la trahison de son chef de la sécurité Heller, ruine sa vente auprès des chinois et détruit ses camions et ramène Lupe dans son camp. Il n’accorde pas d’importance sur les conséquences de ses actes, même s’il compromet une opération de la brigade des stups à Hong Kong qui devient un désastre complet, alors même qu’elle allait arrêter Sanchez grâce à l’accumulation de preuves. Bond va même jusqu’à accuser sa collaboratrice Pam Bouvier de travailler avec Sanchez. Il commet certes des erreurs, mais il est toujours conscient des enjeux.

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Sanchez : le méchant cruel et affectif

Robert Davi, comme dit au dessus, signe une des meilleures performances de méchant de la saga. Caractérisé par son regard noir menaçant, il juge la mort comme une affaire conclue, ainsi il jette à Leiter : «ce n’est pas personnel, c’est du business». Il récompense la fidélité par l’argent : policier corrompu, hommes de main, président Lopez, Bond. Il considère ce sentiment comme primordial autour de lui et punit ceux qui ne sont pas fidèles : il paie moins ceux qui sont à son service mais font peu de chose. Dans le cas d’une trahison il n’hésite pas à tuer de manière brutale et sévère : en torturant il arrache le coeur de l’amant de sa fiancée qu’il bat avec un martinet, explosant Krest dans une cabine de décompression, embrochant Heller avec un monte charge, prêt à tuer Bond d’abord en l’écrasant dans un broyeur de son usine puis en le décapitant avec une machette. Au final il utilise très peu les armes de feu, à croire que la seule scène dans laquelle il utilise est la scène finale, ne s’intéressant donc pas à l’extermination de masse comme un Max Zorin fou se réjouissant de tuer tous ses hommes, Sanchez s’occupe personnellement des sujets qui l’embêtent. Lorsqu’un de ses hommes le trahit, il semble perdu et déstabilisé, il perd son contrôle, fait même parfois des rires nerveux «envolé…comme un oiseau» dit-il à Krest. Il devient alors en ce sens un méchant émouvant avec un côté affectif, notamment lorsqu’il s’occupe de 007 dans sa villa. Bond lui fait perdre ses repères, dans la séquence finale, alors qu’il vient de perdre 80 millions de dollars par camion détruit, il suit ses instincts qui sont de se venger de Bond, quoi qu’il arrive. Finalement Sanchez est un méchant humain, peut-être un des plus de la saga, excellemment bien travaillé par les scénaristes et interprété par Robert Davi. Dans son univers ne se trouvent pas seulement des propriétés mais aussi des personnes, bien plus nombreuses que tous les alliés de Bond réunis. Milton Krest, un peu le suiveur de Sanchez, est joué par Anthony Zerbe. Don Stroud joue le chef de la sécurité Heller, très discret. Anthony Starke joue le déjanté Truman Lodge, gestionnaire des affaires de Sanchez. Enfin le très bon Benicio del Toro joue le rôle de Dario, personnage très violent et loyal envers Sanchez avec un sourire démoniaque et inquiétant. Talisa Soto interprète Lupe Lamora, la petite amie de Sanchez, personnage simple mais très touchant, obligé de suivre les désirs de son compagnon insensé. Fouettée, assujettie, réduite en escalavage dans un jeu amoureux pervers, un peu comme Séverine dans Skyfall. Le président Lopez, joué par Pedro Armendariz Jr, le fils de Pedro Armendariz qui jouait Kerim Bay dans Bons baisers de Russie, vacille du bon côté dans les dernières minutes du film. Enfin le professeur Joe Butcher ferme la marche, chef spirituel d’une secte qui est en réalité une entreprise de blanchiment. Wayne Newton joue avec une très grande justesse son personnage en accentuant sur le comique, ce sont les rares instants humoristiques du film avec les scènes de Q. La séquence dans laquelle a lieu les demandes de dons est en réalité une renégociation du prix de la drogue vendue par Sanchez, une scène très hilarante et intelligente.

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Deux contre tous

James Bond, lui, a peu d’alliés. Il agit cette fois avec Pam Bouvier, le duo est seul contre une ville, contre un pays corrompu. Pam Bouvier, agent de la CIA, suit en même temps les ordres de Bond et se veut indépendante. Femme intelligente, elle n’a pas sa langue dans sa poche, dans la lignée du major Amasova de L’espion qui m’aimait. Carey Lowell est une aventurière, notamment lorsqu’elle conduit la voiturette et le camion ou encore pilote l’avion. Elle manie les armes, du fusil à pompe au pistolet. Elle sait se battre, et sauve ainsi Bond à deux reprises. Caroline Bliss, bien que jouant bien Miss Moneypenny dans les 2 films avec Dalton, ne restera pas dans les mémoires. Robert Brown, dans le rôle de M, joue pour la dernière fois. Enfin Q rejoint 007, comme dans Octopussy, sur le terrain et devient presque son assistant. A ne pas oublier aussi Sharkey, tué par les hommes de Milton Krest, ce qui énervera encore plus Bond!

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Perdus sur une route hantée

La réalisation de John Glen est classe et sobre. Ses prises de vues sont gracieuses. La photographie est magnifique et permet de souligner l’exotisme des lieux, malgré la rudesse imposée par le scénario. Le Seven Mile Bridge est excellemment bien filmé. Glen réalise des séquences d’actions magistrales, des cascades sous-marines qui se concluent par un James Bond qui glisse sur l’eau à tout vitesse, des cascades aériennes, notamment lorsque 007 descend en rappel jusqu’à la fenêtre de Sanchez et bien entendu la scène finale qui est incroyable, impressionnante et extraordinaire avec les meilleures cascades de l’histoire du cinéma. La scène scène est épique, enchaînant avec virtuosité explosions, traînée de feu, camions, voitures enflammées, avion touché… Timothy Dalton assure la majorité des cascades, notamment sur le toit des camions. Un grand final, le meilleur final d’un film de James Bond. Cette scène saisissante et pleine de tensions à elle-seule est une des plus belles scènes d’actions de James Bond, sûrement même de l’histoire du cinéma. Cette scène a nécessité 6 semaines de tournage dans la région dite hantée de Rumorosa sur une autoroute située en plein désert à environ 100 kilomètres de la ville de Mexicali. 8 camions ont été fournis, 4 sont montrés à l’écran. Barbara Broccoli assume l’entière production de cette scène, qui nécessite le budget d’un film entier. Les conditions sont très difficiles, notamment à cause d’une chaleur épouvantable sur le plateau. Il n’y a pas que les scènes d’actions qui, d’un point de vue de réalisation, sont réussies. Glen film magistralement bien les autres scènes, en particulier celles dans la villa de Sanchez, dans son casino, notamment lorsque Bond est dans le monte-charge. A noter aussi que Glen montre des plans saignants. John Barry parti, c’est Michael Kamen qui compose la musique du film, qui est très proche de ses compositions pour L’arme fatale et Piège de cristal. Une musique très proche des films d’action américains, tout en restant encore une fois dans la formule bondienne. En effet, il parvient à merveille à mélanger son style aux influences bondiennes traditionnelles. Le thème du film façon Kamen est très réussi, pouvant être entendu lors du pré-générique ou, plus complet, lors de la scène finale dans laquelle la musique est virtuose. Toutes les pistes composées pour les scènes d’Isthmus : le casino, l’ascenseur vers Q, le monte-charge…sont réussies. La chanson du générique, chantée par Gladys Knight, n’est sûrement pas la meilleure de la saga mais réussie également.

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On ne l’avait jamais vu ainsi! Le costume déchiré et poussiéreux, le visage fatigué bien que libéré, la peau écorché, ayant frôlé la mort et gravement blessé. Permis de tuer est un des meilleurs films de la saga, sombre et inhabituel, il a su donner une nouvelle direction à Bond ainsi qu’un héritage profond et passionnant. N’ayant joué que sur une courte durée mais peut-être la plus intense, Timothy Dalton quitte le costume de 007 pour le laisser sept ans plus tard à Pierce Brosnan, qui lui aussi offre une prestation différente, car chez Bond il n’y a pas de meilleur interprète chacun étant bien différent (ou presque).

  • Réalisation : 10/10
  • Scénario : 10/10
  • Casting : 10/10
  • Musique : 9.5/10
  • Ambiance : 10/10

Film : 10/10

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