Critique et analyse – Big Eyes

kinopoisk.ru

  • Date de sortie : 18 mars 2015 (1h47)
  • Réalisateur : Tim Burton
  • Avec : Amy Adams, Christoph Waltz, Danny Huston, Krysten Rutter, Jason Schwartzman, Terence Stamp
  • Tous publics (France) -13 ans (Etats-Unis)
  • Allociné spectateurs : 3.8/5
  • Allociné presse : 3.2/5

Bien que je reconnaisse indéniablement le talent de Tim Burton, je n’ai jamais adhéré à ses films ni à ses univers. En laissant Johnny Depp et Helena Bonham Carter de côté pour Christoph Waltz et Amy Adams et en optant un cadre plus réaliste et toujours déjanté, le cinéaste arrive enfin à séduire, avec un film plaisant et agréable sur un sujet fascinant.

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A la fin des années 1950 et début des années 1960, le peintre Walter Keane a connu un succès phénoménal et révolutionné le commerce de l’art grâce à ses énigmatiques tableaux représentant des enfants malheureux aux yeux immenses. La surprenante et choquante vérité a cependant fini par éclater : ces toiles avaient été peintes par sa femme, Margaret. L’extraordinaire mensonge des Keane a réussi à duper le monde entier et représente la plus scandaleuse dans le domaine artistique.

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Les scénaristes ont conçu scénario très intéressant et ont fait des choix importants. L’histoire retrace donc l’histoire des créateurs de ces portraits d’enfants aux yeux gigantesques et disproportionnés adorés par le public américain, alors qu’ils sont moins connus en Europe. On suit avec beaucoup d’intérêt cette fraude artistique scandaleuse. Big Eyes n’est pas un film sur l’art, l’intrigue esquive les questions artistiques intéressantes, tout en les évoquant tout de même : la personnalisation du marché de l’art, la création des modes ou encore la question de la reproduction par série. La critique est certes amusante, mais légère et peu approfondie. Il faut dire que l’évocation ne suffit jamais. Le scénario se concentre donc sur d’autres points tout en gardant ce fond artistique en arrière plan. C’est bel et bien les rapports entre Walter et Margaret qui sont ici évoqués, Big Eyes est un film sur le couple, un film sur des personnages. L’enjeu véritable du film, c’est la focalisation sur les deux personnages. Le scénario traite de la déloyauté, la trahison, de l’émancipation et la recherche de l’identité. Le portrait qu’il dresse des deux deux personnages est très bien travaillé. Le portrait de l’escroc est très beau, Walter est obsédé par le gain, à un point que la perte de contrôle survient, quelles sont donc ses limites? Jusqu’où est-il prêt à aller pour garder secrète sa supercherie mondiale, qui n’était à la base qu’un petit mensonge? C’est tout l’intérêt du film. Cet arnaqueur psychotique s’approprie l’univers de l’autre et invente des histoires rocambolesques pour créer un passé aux toiles de sa femme, certes escroc mais aussi génie puisque ce séducteur manipulateur est un plagiaire visionnaire, un précurseur du pop art de Warhol en développant les objets de  consommation comme les affiches ou les cartes postales. C’est donc un personnage digne d’être représenté au cinéma. Il impose à sa femme une vie dans l’ombre du mensonge, de l’escroc, la condamne à une forme d’esclavage conjugal. L’usurpation de l’identité est ici très bien traité, sous un angle comique, ludique, qui rend le film assez plaisant et séduit, amuse le spectateur. Ce vaudeville évite tout manichéisme et propose des nuances, puisque c’est bien grâce à ce génie de la communication que les toiles de Margaret seront vendus. Ainsi, ce couple certes dysfonctionnel, est bien complémentaire puisque Walter et Margaret réussissent à faire ce qu’ils n’arrivent pas à faire seul. L’imposture, qui s’étale sur une décennie, entraine une histoire très attrayante. Le travail sur le personnage féminin est aussi traité sous un angle ludique, cette soumise mi-consentante ressent de la douleur et de la frustration. Cependant, on regrette un petit manque de profondeur sur le mystère de ce portrait, cette femme qui peint ces enfants tristes, mystérieux et même sinistres, certes le film se veut ainsi mystérieux mais logiquement, sa profondeur diminue, cependant des éclaircissements auraient pu le rendre plus complet. La descente aux enfers de ce couple idyllique représente donc tout l’intérêt de l’oeuvre. Ce sont les scénaristes qui ont dans un premier temps eu l’idée d’adapter cette histoire rocambolesque mais vraie, ceux qui avaient adapté pour Burton quelques années avant celle du cinéaste Ed Wood dans le film éponyme. En grande partie, les scénaristes ont respecté la véritable histoire, dans les moindres détails, à part quelques ajouts scénaristiques comme le personnage féminin de l’amie de Margaret ou encore l’absence d’amis chez les Walter pour garder secrète la supercherie. Il est donc très intéressant de constater que la scène du tribunal est véritablement vraie puisqu’elle constitue le climax du film, scène culte et totalement déjantée dans laquelle Waltz fait un grand numéro d’acteur, mais nous nous égarons… On regrettera surtout les quelques stéréotypes présents dans le film, même si sûrement des éléments véritables de l’histoire, ils auraient pu être amenés de manière plus subtile, les minimes facilités scénaristiques sont nombreuses vers la fin notamment, comme la question de la religion, non seulement stéréotype mais aussi traitée de manière superflue, le traitement de la question n’apportant rien au film.

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Les acteurs sont formidables. Je ne comprends vraiment pas certaines critiques, trop négatives, envers Christoph Waltz. Très en forme, Waltz apporte beaucoup de relief et de dynamise à l’ensemble. Complètement déjanté mais connaissant les nuances dans ce jeu, celui-ci se révèle très fin, rendant ainsi le personnage charmant tout comme insupportable.  Acteur exceptionnel, il joue avec perfection cet escroc qui manie avec brio l’art de la communication. Son jeu deviendra magistral, unique – on peut accumuler toute la série de synonymes – dans la scène du tribunal, qui deviendra très vite culte. Amy Adams apporte beaucoup de fraîcheur au film, on la retrouve ici dans un rôle plus rigide, plus fermé peut-être que dans d’autres films, avec moins de liberté, mais l’actrice a su apporter sa touche personnelle et rend le personnage totalement sympathique. Sa palette de nuances rend le personnage touchant, fragile, influençable et sa naïveté peut nous rappeler très brièvement celle de Janet Leigh. Très grande actrice, Amy Adams possède un visage très cinégénique, qui magnifie l’actrice et la rend éblouissante. Le duo qu’elle forme avec Christoph Waltz est magique et très dynamique. A noter aussi le caméo de Margaret Keane et le manque de présence à l’écran pour les seconds rôles, notamment Terence Stamp, alors que les acteurs proposent un jeu très prometteur. Les seconds rôles ne font qu’un enrobage dans ce film, malheureusement.

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En perdition artistique depuis des années, Tim Burton réalise un film plus sobre, plus intimiste, personnel. Fini les effets spéciaux fantaisistes des films précédents auxquels je n’adhérais pas, c’est le réalisme qui prime maintenant ! L’aspect déjanté des personnages ressort donc bien mieux puisqu’ils se trouvent dans un cadre réaliste, et donc sont hors du commun. Le film est donc certes réaliste, mais son côté déjanté s’en ressort bien mieux. Magnifiant l’imposture, la réalisation de Burton est pleine de malice et de tendresse, une tendresse destinée à tous ses personnages, pour lesquels le réalisateur refuse de faire un jugement net. Au premier abord, le film pourrait sembler ne pas être burtonien, mais il l’est complètement, la sauce burtonienne est appliquée dans un univers réaliste, ce qui ne rend pas le film hésitant comme le peuvent penser certains, mais très original. J’ai donc dit que les éléments burtoniens sont bien présents (mais appliqués différemment), on a bien des personnages, une photographie et un univers propres au cinéaste. L’univers est bien travaillé, à l’image des autres films de Burton, avec des couleurs vives, des coiffures et des costumes soignés. La photographie est très belle, le film possède une véritable identité visuelle, Big Eyes est une véritable peinture, une toile peinte par Margaret Keane. D’ailleurs, ses oeuvres picturaux donnent beaucoup de relief aux images. Les décors sont aussi propres à Burton, très intéressants, la reconstitution de San Francisco est très belle et saisissante et les autres décors bien travaillés, comme la villa ou encore les plages paradisiaques. On voit donc bien que les éléments burtoniens sont bien présents mais appliqués cette fois-ci dans un autre contexte, un autre univers, soit une histoire vraie, ce qui permet de la rendre encore plus originale et déjantée – on aurait pu tout simplement représenter l’histoire vraie des Keane dans un contexte trivial. Ici, Burton est au service du biopic et il réussit son travail, contrairement à ce que dit une majorité. De plus, l’intrigue est sans temps mort. Le film est plaisant, charmant et rappelle immédiatement un autre film sur l’escroquerie appartenant au même registre, réunissant deux acteurs d’exception, Comment voler un million de dollars. Cependant, même si le film est déjanté, les questions sont différentes et le traitement de Wyler est différent. Parmi les scènes de Big Eyes, on en retiendra une, totalement hilarante, qu’est celle du procès, dont on ne racontera pas ici les motifs comiques. La scène est très réfléchie, originale, et devient même une des meilleures scènes de procès. La réalisation de Burton présente plusieurs défauts cependant, mais minimes. Tout d’abord, la bande-annonce nous donnait l’espoir d’un film un peu plus déjanté qu’il ne l’est. La voix-off déçoit beaucoup, c’est très ennuyant et elle n’apporte rien de neuf, heureusement elle n’est qu’en quantité mineure. La bande originale de Danny Elfman déçoit aussi beaucoup, ne proposant pas de véritable thème musical, les pistes sont peu travaillées et peu originales. Heureusement l’ensemble musical est rattrapé par les deux chansons douces et plaisantes, encore une fois, de Lana Del Rey, qui les a composé pour l’occasion. On retiendra aussi les quelques partitions jazz d’autres groupes, qui apportent une certaine matière sonore au film.

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Film de très bonne qualité, Tim Burton rend indéniablement un très bel hommage à l’histoire des Keane. Au passage, il signe ici un film déjanté, se concentrant sur l’étude de personnages fascinants, utilisant ses propres éléments pour rendre le film hors du commun. Christoph Waltz et Amy Adams proposent en plus une interprétation magistrale, exceptionnelle. Tim Burton ne signe pas ici un chef-d’oeuvre, il est en bonne voie, et on espère que cela va continuer, avec l’adaptation de Dumbo?

  • Réalisation : 8/10
  • Scénario : 7.5/10
  • Casting : 9/10
  • Musique : 6/10
  • Ambiance : 8/10

Film : 7.5/10

5 commentaires

  1. jamelb · avril 4, 2015

    Bonjour. Moi non plus je ne suis guère fan du génial TIM BURTON que j’ai regardé très peu de fois, mais votre critique m’a donné envie d’aller voir celui-ci a défaut de pouvoir voir SEA FOG qui est encore une fois très mal distribuer comme tout film coréen. Mais votre critique très pétillante de ce film me donnera l’occasion de voir un BURTON sans fioriture. Votre critique est très vivante et donne envie d’aller le voir, surtout continuer à écrire comme cela se voit que ce film vous a plu.

    Aimé par 1 personne

    • Keyvan Sheikh · avril 6, 2015

      Votre commentaire fait très plaisir. N’hésitez surtout pas à partager votre retour après la séance.

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  2. le cinema avec un grand A · avril 22, 2015

    Je ne fais pas partie des déçus envers ce film, ce n’est pas un chef d’oeuvre mais cela reste un biopic de bonne qualité et avec un excellent duo d’acteurs.

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